PAR SAMUEL MAJOU, CHEF D’ÉTAT-MAJOR ALFUSCO

L’approche du facteur humain au sein des commandos vise à deux choses :
1/ optimiser le potentiel de chacun, pour accroître la performance et la résilience ;
2/ en assurer la préservation tout au long de la carrière, par la prévention, la régénération et la reconstruction.

L’optimisation tout d’abord

  • Par le développement des compétences (individuelles et collectives), c’est le processus de formation/entraînement dans les structures d’instruction et dans les unités opérationnelles.
  • Par le renforcement de la force collective via des temps de réflexion centrés sur le sens du métier, de la mission, et de tous leurs attendus/risques/enjeux.
  • Par la mise en place de techniques de mobilisation des facultés mentales et de gestion du stress.
  • Par un parcours de préparation physique ou d’athlétisation adapté aux besoins de chacun selon la période de sa vie professionnelle.

Ensuite la préservation

  • Générer des « pare-feux », des « limitants », des « régénérants » ou des « reconstructeurs » pour faire face aux agressions de toutes natures dont les effets se conjuguent et se cumulent tout au long de la carrière de nos hommes : traumatismes physiques et psychologiques de guerre, intensité d’entraînement en milieu abrasif, rythme d’activité intense, tension opérationnelle, évènement socio-affectif (familial etc) ;
  • Un « plateau » global est en phase de montée en puissance ;
  • Certains outils existent et sont en place et éprouvés (suivi médical et psychologique, évaluation, prévention, soin et accompagnement pour régénérer le potentiel ou traiter un trauma). D’autres sont en construction :
    • Généralisation de la maîtrise des techniques de mobilisation mentale et de gestion du stress dans les situations opérationnelles usuelles.
    • Préparation physique sur-mesure centrée sur le besoin du moment.
    • Athlétisation après un épisode traumatique ou une phase abrasive. 
En la matière, les commandos Marine, qui sont un système d’hommes avant tout, sont innovants et savent faire preuve de modernité.

Quelles différences faites-vous entre les 3 notions suivantes : la compétence / le talent / le facteur humain ?

Le talent est du ressort de l’inné. Il représente les facultés intrinsèques, non acquises, le potentiel de réalisation propre à chaque individu. Il faut d’abord en détecter l’étendue, en identifier les potentialités, et c’est un travail à faire sur soi-même par chacun. Cela suppose du recul et une grande faculté d’introspection.

Puis il n’est que la terre brute que chacun devra s’attacher à travailler, sans quoi rien de bon n’en sera retiré. La « parabole des talents » de la Bible nous en dit l’essentiel. Le talent n’est que la semence posée sur le terreau. Le travail, la prise de risque et l’engagement seuls permettront d’en retirer de la valeur.

La compétence est du registre de l’acquis. Ce n’est pas un état, mais un chemin continu d’élévation professionnelle. Elle n’est ni seulement la formation ni la qualification. Elle s’acquiert par l’éducation, l’entraînement, la pratique. L’expérience bien comprise et assimilée y prend part. On distingue enfin la compétence individuelle de la compétence collective. Cette dernière représente d’avantage que la somme des compétences individuelles et résulte de l’alchimie entre ces mêmes compétences individuelles, le ciment de l’osmose collective et le catalyseur du leadership imprimé par chacun, à son niveau.

Dans les commandos Marine, la compétence s’appuie fondamentalement sur le compagnonnage et la maturation des plus jeunes auprès des plus anciens. Elle repose enfin sur le management des connaissances, afin de capitaliser les acquis de tous sur le long terme, et d’en organiser la formalisation et la diffusion.

Comme le disait Thomas Edison : « soyez tenace, le génie c’est 10% d’inspiration et 90% de transpiration ».
 Et dans les commandos Marine, et c’est peut-être cela l’une des clés de la performance, on apprend et on attend de chacun qu’il sache bien mouiller le maillot…

Dans votre approche du facteur humain dans les commandos, quelles capacités sont prioritaires à développer ?

Il est important d’évoquer les outils que nous mettons en place pour développer, préserver et optimiser les potentiels de nos personnels. La priorité porte sur l’amélioration de la préparation individuelle et sur la régénération du potentiel au long de la carrière. Il est nécessaire de mieux maîtriser les techniques de préparation mentale et physique (dont la nutrition), pour approcher un niveau de préparation type « sportif de haut niveau » (restant adapté bien sûr au métier de combattant qu’est le nôtre).

Pour la régénération, nous portons une attention soutenue au soin et à la remontée en puissance après des agressions ou traumatismes, physiques comme psychologiques. L’attention et le soutien des familles est également au cœur de nos préoccupations, comme le socle d’un commando équilibré, serein et accompli dans sa vie et son métier.

Pour revenir aux fondamentaux du métier de commando, les facultés humaines à développer (leadership, écoute, engagement, etc.) sont :

  • La capacité à être toujours au niveau attendu pour être performant en opération. Pour cela, le système des commandos Marine impose une remise en jeu du béret à chaque étape de la carrière, chaque étape du cursus présente un caractère sélectif, sur des critères réfléchis et clairement établis. De ce fait, les commandos doivent faire preuve de capacité de remise en question, d’esprit de progrès, d’adaptabilité et d’exigence envers eux-mêmes et leurs subordonnés lorsqu’ils ont un rôle d’encadrement.
  • La capacité à prendre des risques : c’est consubstantiel aux opérations spéciales, par nature engagées, risquées, difficiles. Sinon on les confierait à quelqu’un d’autre. Pour cela, esprit d’engagement, audace, sens des responsabilités sont au cœur de ce qu’on attend d’un commando.
  • Esprit d’équipage : « United we conquer » est la devise des commandos britanniques WW2, dont les commandos Marine sont héritiers aujourd’hui, entre autres filiations très glorieuses.

Tout est dit donc, sur la valeur de l’équipe vs l’individu seul, sur la force collective qui dépasse la somme des individualités, sur le nécessaire sens collectif attendu de nos commandos. Comme tout corps d’élite ou tribu très soudée sous l’égide d’un conseil des anciens très puissants, la cohésion et les liens interpersonnels sont évidemment très forts. Seuls les egos trop surdimensionnés n’ont pas leur place, mais il nous faut des egos solides, et humbles à la fois… vaste programme.

Quelles sont vos méthodes pour identifier les “talents” au sein de la Force ?

L’humain, la connaissance intime des hommes, les avoir côtoyés en opérations et pendant des années, permet de détecter les « talents ». Le passage par les formations de cursus, sélectives, avec des évaluations exhaustives et des mises en situation difficiles, permet de faire émerger les meilleurs. Les opérations ensuite, qui révèlent les hommes au plus profond d’eux-mêmes et donnent des indications fiables.

L’élitisme de notre Force est fondé sur la méritocratie, pas d’aristocratie fondée sur de mauvais critères. On ne naît pas « meilleur », on le devient. Et on ne commence jamais « en haut », on fait ses preuves « en bas » avant de progresser, ou pas. Enfin, un « talent » ne l’est que tant qu’il le reste.

Ce « statut » n’en n’est pas un, il est d’abord une exigence d’être à la hauteur du potentiel estimé et des responsabilités qu’on vous confie. L’excellence est une exigence, et n’offre que des devoirs, aucun droit. Un « comité d’évaluation » se réunit tous les ans sous la direction de l’Amiral pour évaluer et classer les personnels entre eux et faire émerger les meilleurs, en lien avec la DRH de la Marine qui nous délègue la responsabilité de faire ce travail pour les fusiliers marins et les commandos.

Quels sont les secrets de la ténacité mentale développée par les Forces Spéciales ?

Cette qualité n’est pas propre aux Forces Spéciales. Elle est celle de tous ceux qui s’engagent et qui prennent des risques, qui se confrontent à une adversité de quelque nature qu’elle soit. Ceux qui, en manque en revanche, doivent s’attendre à souffrir, ils n’ont sans doute rien à faire là où ils sont.

Pour les commandos, cela commence au stage commando. Sur la base d’un potentiel suffisant, mobilisé comme il convient par chacun des candidats, les stagiaires entrent dans une sorte de « machine à laver ». Ils ne s’appartiennent plus et sont placés en position d’« inconfort complet » afin de tester toutes leurs facultés et aptitudes, de mesurer l’étendue de leurs ressources dans l’adversité.

Là, à condition de performances suffisantes, en réalité accessibles à pas mal d’entre nous, c’est la ténacité qui fait la différence pour réussir. Certains s’étiolent, d’autres s’accrochent, souvent avec des performances semblables.

À la fin, les uns échouent, les autres passent. Ne rien lâcher donc, toujours y croire, même et surtout quand on n’y croit plus. Ne serait-ce que pour ne rien avoir à regretter.

La ténacité également comme une délité à l’héritage de nos anciens et une attitude, celle d’être à la hauteur du béret vert, vu comme un « plus grand que soi » et un objet démultiplicateur d’énergie et de volonté. Regarder les anciens, les écouter, c’est prendre conscience que c’est au combat, au moment crucial, au paroxysme, que cette faculté sera nécessaire, vitale même. Il n’y a pas d’alternative : un commando Marine a le devoir, l’honneur comme pour la performance opérationnelle, d’être tenace. Il faut être à la hauteur.

En somme, la ténacité est la pierre angulaire du succès. Aucun secret donc dans la ténacité des Forces Spéciales, simplement une faculté intrinsèque mise à jour et développée au fil d’un parcours de sélection et de formation difficile et exigeant. Associée à un état d’esprit, celui de ne rien lâcher, jamais, au risque sinon d’échouer, à coup presque sûr. Le commandant Philippe Kieffer disait déjà, il y a 75 ans : « Le béret vert est plus difficile à conserver qu’à gagner ».

À PROPOS DE SAMUEL MAJOU

Né en 1971, Samuel Majou est entré dans la Marine, après l’École Navale, en 1991. Sélectionné pour servir dans les commandos Marine en 1994, il a servi aux commandos de Montfort, Trépel (qu’il a commandé au début des années 2000) et Kieffer (qu’il a également commandé).

Officier instructeur à l’École des Fusiliers Marins, il a ensuite servi dans le renseignement (DRM). Pendant 27 ans, dont la plupart passés au sein des Forces Spéciales de la Marine, il a participé à de nombreuses opérations et exercices sur tous les continents et les mers. Il est aujourd’hui le Chef d’État-Major de la FORFUSCO.

0297884347 email