On me pose souvent la question de ce qui a fondamentalement changé entre ma vie d’avant et celle que je connais aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. Ma réponse spontanée serait certainement celle du sens. Auparavant, je servais une cause qui me transcendait, mon métier était une vocation.

Dans l’entreprise, souvent moins porteuse de sens, la motivation et l’engagement sont plus endogènes. Les leaders doivent, à mon sens, y développer des qualités encore plus fortes pour mobiliser leurs équipes.

Dans le monde militaire, l’activité opérationnelle est fondamentalement différente de celle vécue au sein d’une entreprise. Les forces spéciales s’entraînent à gérer des crises, à vivre des phases extrêmement intenses de stress, à mobiliser toute leur énergie, de jour comme de nuit et cela pendant des semaines. Mais ce pic d’activité précède un retour au calme qui permet de se ressourcer et de préparer l’activité d’après. Chaque phase est ainsi respectée et suit un protocole précis. Au sein des commandos, l’expérience et la formation nous aident à maitriser nos émotions et à nous concentrer sur l’objectif.

Dans l’entreprise, la tension est moins extrême mais elle est permanente. Si je prends l’exemple des usines de fabrication, pour maintenir l’équilibre entre objectif à atteindre et ressources, la pression ne s’arrête jamais. Les rythmes sont ainsi différents. Le management est rompu au traitement des crises auxquelles il fait face au quotidien (ex : une panne de robot qui bloque la chaine de fabrication, un défaut qualité…). Les incidents ou crises qui, par exemple, ont un impact humain ou impliquent les médias, s’ils sont heureusement peu fréquents, restent néanmoins toujours délicats à traverser. Ils peuvent générer de fortes poussées émotionnelles. La crise nécessite de réorganiser les ressources pour les priorités de court terme, sans négliger celles de plus long terme. C’est d’ailleurs pour « développer des défenses immunitaires » que des formations sont déployées sous forme de mise en situation. Confronter « à blanc » le management à des situations fictives permet de le préparer à ce genre d’épreuves, toujours imprévisibles et inattendues.

Certaines crises – le COVID 19 en est une – sont des tsunami, même pour les plus grands groupes. Leurs conséquences liées au déséquilibre d’un chiffre d’affaires qui ne rentre plus et des charges qui demeurent peuvent être fatales. La stratégie doit être revue dans des temps records pour s’adapter à l’environnement imprévisible.

Dans le processus de crise, l’anticipation est capitale. Prenons l’exemple de l’une de nos usines de fabrication située à proximité de la cordillère des Andes, en zone sismique. L’approvisionnement de « ses » usines « clientes » d’Amérique latine emprunte les voies routières. Un tremblement de terre dans cette zone est quasi inévitable. Il engendrerait fatalement une rupture dans la supply chain. Une fois cette analyse faite, il convient donc d’identifier des schémas alternatifs. L’anticipation nous pousse ainsi à imaginer en amont de la crise la continuité de l’activité.

C’est le même raisonnement au sein des usines. Si un robot tombe en panne, comment maintenir la redondance dans la production ? Quel schéma alternatif s’offre à nous ? Savons-nous trouver les pièces rapidement chez un fournisseur ? Savons nous « délester » la production dans une autre usine du groupe ?

Dans un monde ou l’incertitude se développe, les managers font ainsi face à de nouveaux défis :

– La capacité à fédérer à distance, donner du sens et maintenir la culture d’entreprise.
Il est nécessaire de maintenir des connexions informelles, car à distance on perd le langage du corps, on perd une part forte de communications non planifiées qui s’opèrent bien souvent à la machine à café, sur le chemin de la salle de réunion, communication souvent facilitatrice dans le travail.

– La capacité à surmonter l’anxiété liée d’une part à la situation sanitaire et d’autre part aux conséquences économiques. Anxiété que l’on peut vivre soi-même mais qu’il faut surpasser pour être en capacité d’accompagner ses collaborateurs.

– La capacité à anticiper la relance. On sent déjà les effets de la crise sur l’approvisionnement de composants électroniques et de matières premières. Les organisations font déjà face aux ruptures d’approvisionnement, effets des tensions à commencer sur les matières premières. C’est là qu’une organisation agile prend tout son sens, une organisation en perpétuel « déséquilibre avant » pour savoir trébucher mais ne pas tomber.

La bonne approche consiste à investir davantage dans les métiers dits de la prévention ou du risque pour anticiper les risques majeurs et donc s’y préparer pour rendre les chocs moins violents. Dans ce genre d’approches, le retour sur investissement n’est jamais simple à démontrer. L’expérience des crises montre pour autant que le coût de l’impréparation est très significativement supérieur à celui des investissements.

PAR ERIC BALASTRE, DIRECTEUR DÉLÉGUÉ ETHIQUE ET DÉPLOIEMENT DU GROUPE RENAULT ANCIEN COMMANDANT DES NAGEURS DE COMBAT DU COMMANDO HUBERT

0297884347 email