Vous avez été au coeur de la crise COVID aux côtés du Président de la République. On a beaucoup entendu parler du « conseil de défense » pendant cette période, pouvez-vous nous faire découvrir la façon dont il fonctionne ?

Le conseil de défense sanitaire est un conseil de défense et de sécurité nationale qui prend des décisions de crise en matière sanitaire, c’est une réunion autour du Président de la République, en présence du Premier ministre et de quelques ministres au cœur de la crise : le ministère de la Santé, celui de la Défense, de l’Intérieur, des affaires étrangères, de l’Économie notamment. Quant au conseil de défense et de sécurité nationale, celui-ci est plus large, dans un format de conseil des ministres restreint, qui a été institutionnalisé par la constitution en 1958. Mais il se tient de manière quasi hebdomadaire, depuis les attentats de Nice.

Sous la houlette de Matignon et du SGDSN (Secrétariat général du conseil de Défense), l’ensemble des ministres et donc de leurs administrations prépare des dossiers fournis sur tous les sujets à l’ordre du jour. Sur la base de ces différentes sources d’informations, et également à partir des analyses du conseil scientifique, un débat s’engage entre les ministres, le Premier ministre, le Président de la République. Des décisions sont prises et selon leur importance sont communiquées lors des conférences de presse du jeudi soit par le Premier ministre et le ministre de la Santé, soit par le Président quand il y a vraiment un tournant majeur à annoncer (confinement – déconfinement).

Un conseil de défense est donc une instance extrêmement organisée. Un énorme travail de coordination interministérielle est réalisée sur les différents sujets. C’est un fonctionnement finalement classique, entre confrontation d’informations, débats, échanges de points de vue et finalement prise de décisions.

Le Président dans une allocation du 20 mars 2020, appelait à « beaucoup de réactivité et à une vraie capacité à se réorganiser à chaque instant pour faire face aux imprévus et en même temps garder notre capacité d’anticipation ». Comment atteindre cet objectif « d’unité et de réactivité » demandé par le Président face à la crise ?

Nous avons essayé de combiner plusieurs approches. L’objectif d’unité c’est vouloir maintenir un collectif fort. Dans une période où il faut rapidement prendre des décisions difficiles, la tentation de décider seul et vite est forte. Or maintenir un collectif fort est essentiel pour rassembler l’information la plus diverse possible, la confronter, la challenger et ainsi permettre une décision la plus éclairée possible. Une fois cette décision prise, le collectif doit rester fort, soudé pour la mettre en oeuvre et solliciter tous les écosystèmes nécessaires : la santé, le monde des entreprises, l’éducation… et pour communiquer de manière cohérente et ainsi susciter l’adhésion.

L’objectif de réactivité c’est de ne pas avoir peur de changer de décision. Quand on est en situation aussi incertaine, il ne faut pas craindre, face à de nouvelles informations, de changer de décision si la situation l’exige. Notre niveau de connaissance évolue chaque jour, nous devons donc adapter nos décisions et communiquer. Il faut être en capacité de faire preuve de réactivité et d’adaptabilité. Pour citer Winston Churchill « Il n’y a aucun mal à changer d’avis. Pourvu que ce soit dans le bon sens. »

Quelle est selon vous la posture nécessaire à tout dirigeant, homme de pouvoir face à une crise ?

Étonnement peut-être, je dirai que la première chose est d’être et de rester inquiet. Evidemment il faut transformer cette inquiétude en énergie mais il faut sans cesse, se poser des questions, ne rien prendre pour acquis, envisager toujours plusieurs scénarios, être créatif, demander à chacun le meilleur, se dépasser, réfléchir, être force de proposition.

Comme évoqué précédemment, il faut être dans le dialogue. Cette dialectique permanente entre des décisions, qui évidemment se prennent par une toute petite équipe, et ce collectif qui doit les appliquer, est vitale pour gagner en efficacité, communiquer et amorcer une sortie de crise.

Autre point fondamental, dans le cadre de ce dialogue et face à l’incertitude, il faut garder des lignes directrices très claires, des « ancres » stables non négociables.

Pour exemple, dès le début le gouvernement a posé comme intangible le fait de ne pas faire de tri parmi les malades, de ne pas laisser les gens mourir chez eux. Autre exemple, que nous nous étions imposé dès le départ : « Gérer cette crise avec les règles d’une démocratie. On n’imposera pas, on responsabilisera, on sera le plus transparent possible en expliquant les choses que l’on sait ». Il est donc nécessaire de se fixer quelques règles et de ne pas en déroger. Ça signifie : être à la fois très réactif et bouger rapidement sans franchir la ligne rouge.

Enfin, le dirigeant doit savoir donner un cap et préparer l’après crise. Il faut absolument, en même temps que l’on gère la crise, se projeter dans l’après crise. L’objectif n’est pas uniquement de « donner de l’espoir » en fixant un objectif commun mais c’est aussi avoir en tête les transformations nécessaires à opérer issues de la crise. Les citoyens ont été profondément bousculés, leurs attentes, leurs besoins ont évolué. Le rôle du dirigeant est de savoir en tirer les enseignements, accompagner au mieux les citoyens dans ce nouveau chemin.

PAR ANNE DE BAYSER (EX SECRÉTAIRE GÉNÉRALE ADJOINTE DE L’ÉLYSÉE)

Le regard de Pegasus Leadership

Pour une fois, une citation d’un « civil » (Nietzsche) : « Une fois la décision prise, rester sourd aux meilleures objections, c’est le signe d’un caractère fort; cela implique à l’occasion la volonté d’être stupide. »
En période de crise, comme Anne, nous préférons la citation de Churchill…

0297884347 email