Vous avez écrit : « En partant en mer, j’accepte l’inconnu mais sous conditions raisonnées : savoir qu’on ne sait pas et s’y préparer ». Comment vous préparez-vous à l’inconnu ? Quelle place occupe votre équipe dans vos aventures de mer ?

La voile est un domaine dans lequel l’incertitude est permanente. Nous n’avons pas de prise sur les éléments.

Face à cette incertitude permanente, il est nécessaire de développer une confiance absolue en soi comme en l’autre. Je crois au fonctionnement collaboratif, il ne peut pas y avoir de doute possible entre nous sur l’expertise de l’un ou l’expertise de l’autre. Chacun doit être bien dans le rôle qu’il a à jouer. La confiance est donc le socle fondateur de la team car si l’un de mes collaborateurs se rate, je suis mort. Si un boulon n’est pas bien serré, un collage mal fait… sur un bateau qui fait 17 tonnes lancé à 40 noeuds… !!!

Mon équipe est donc totalement engagée et moi je suis habité !

Quelle est votre vision du leadership ?

Je n’ai jamais eu l’envie ni la prétention de devenir un jour un leader et je pense que l’époque que nous traversons est en train de tuer le mythe du leader tout puissant, celui qui sait tout faire et qui a l’autorité sur tous.

Le leader doit porter la vision, identifier les talents et définir les responsabilités de chacun. Il doit accompagner chaque expert à prendre le leadership selon la situation et lui accorder sa confiance. Ce dernier doit guider le reste du groupe. Puis, selon les échéances et les enjeux, il faut être en capacité de changer de leader et ainsi construire un projet collaboratif.

Au sein de la team SODEBO, j’ai recruté l’ensemble des collaborateurs et j’ai proposé un nouveau modèle dans lequel il n’y aurait pas un seul architecte mais plusieurs qui ont été invités à travailler ensemble. Cette démarche plus collaborative a abouti à la conception d’un bateau atypique sur lequel la partie vitale a été placée devant le mât. Traditionnellement, cette partie qui réunit toutes les manœuvres mais aussi la sécurité du marin a toujours été placée à l’arrière, notamment pour empêcher que le bateau chavire.

Au sein de la team, partageant cette vision nouvelle que tous les bateaux allaient voler, on a voulu centrer les masses et on a osé changer la position de la sécurité. En centrant les masses, on a libéré une place à l’arrière du bateau, ce qui a développé son aérodynamisme. C’est aussi l’un des talents du leader, c’est d’être curieux, d’oser ouvrir de nouvelles portes et de prendre des risques.

Cette posture permet, selon moi, de responsabiliser et de « concerner » d’avantage nos collaborateurs. Le leader incarne et porte une vision, il partage une histoire et il doit s’entourer de personnes qui adhèrent au projet (avant même, selon moi, les problématiques d’argent, de marge, de performance).

La première fois que je me suis adressé à mes collaborateurs pour leur partager ma vision, je cherchais une phrase d’accroche qui puisse résumer le bateau que je voulais construire. Je leur ai, après réflexion, annoncé que je souhaitais construire « Un bateau qui allait aller plus vite que le temps qu’il fait ». Cette métaphore guide toutes nos actions et permet de recadrer en permanence l’équipe sur un objectif commun. Ça embarque tout le monde (la comptabilité, la finance, l’ingénierie, le marketing…) avec le même imaginaire.

Vous êtes perçu par le Grand public comme un homme d’action, capable d’exploits hors normes parce que vous êtes vous-même hors normes. Et donc, pour vous, tout semble facile… Comment faites-vous pour rendre les choses faciles ?

Je partage mes émotions. Quand je navigue, j’ai une sensation qui va générer chez moi une émotion qui au bout du compte génère un mouvement. Mon rôle est ensuite d’expliquer à mon équipe l’émotion que j’ai eu, pour que chacun, à son niveau d’expertise, en traduise les axes d’amélioration à apporter au bateau.

Comment vivez-vous la difficulté, l’angoisse de ne pas savoir si vous allez être capable de reproduire une performance, de « recommencer « à gagner ?

La phase de préparation d’une course est vitale, elle suit une discipline, elle est très rigoureuse, avec tout ce que ça comporte comme check- list, méthodologie. On a des routines qui vont jusqu’à de la visualisation des gestes. Je répète en permanence les manoeuvres, je reproduis les mouvements, je visualise le nombre de pas à faire, j’analyse les efforts que telle ou telle manoeuvre va me demander. Avec la Team, on imagine tous les scénarios possibles puis on les répète même si on est tous conscient que la réalité de la course va surpasser chacune des situations que nous avions identifiées en amont. Notre préparation consiste à imaginer toutes les erreurs possible que je pourrais faire et de m’y préparer.

Vous êtes dans quel état d’esprit en ce moment ? Est-ce que vous pensez que demain sera meilleur qu’aujourd’hui ?

Cette période nous a fait prendre conscience de l’intérêt du « vivre ensemble » et de l’interdépendance que nous avons les uns avec les autres. Nous vivons une époque collaborative et cette crise que nous venons de traverser témoigne de la nécessité d’accorder notre confiance aux experts : les scientifiques, les économistes, les politiques. Je suis confiant et optimiste car je crois à l’intelligence collective, au génie humain et à sa formidable capacité d’adaptation.

THOMAS COVILLE SKIPPER POUR L’ÉCURIE SODEBO

LE REGARD DE PEGASUS LEADERSHIP

Quand nous avons la chance d’amener des dirigeants à la rencontre de Thomas Coville, ce qui les marque le plus :
– la profondeur de la réflexion de « l’homme » sur son activité de marin et de team leader, nourrie par une culture tous azimuts : musique, théâtre, écriture, rencontres, etc.
– les points communs à toutes les équipes à haute performance, quelle que soit leur finalité (sport de haut niveau, forces spéciales, COMEX, équipe projet complexe, etc.) : les notions de « leadership distribué », de confiance mutuelle, de sens/d’état final recherché, de préparation opérationnelle et mentale, d’anticipation des cas non conformes.

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